Lors  d’une émission diffusée sur You Tube début décembre,  Ferdinand Ayité,  directeur de publication du bihebdomadaire togolais Alternative et Joël Egah celui de l’hebdomadaire Fraternité, ont accusé deux ministres du gouvernement togolais de détournement de fonds et d’enrichissement illicite. Poursuivis sur plainte de ces derniers, ils ont été inculpés pour outrage aux représentants de l’autorité publique, propagation de fausses nouvelles   et incitation à la haine de l’autorité. Les propos incriminés ayant été tenus sur les réseaux sociaux, les deux confrères ne sont pas couverts par le Code de la presse, dépénalisé au Togo.

C’est une émission très suivie, notamment par la diaspora togolaise.

Son format ressemble davantage à un talk show qu’à celui d’une émission d’analyse et de décryptage de l’actualité comme elle le prétend, avec toutes les exigences journalistiques, d’éthique et de déontologie.

Dénommée « L’Autre Journal », elle est orchestrée par Alternative et son animateur n’est autre que le rédacteur en chef de ce journal.

Les invités sont pour la quasi-totalité du temps, le directeur de publication d’Alternative, Ferdinand Ayité, et celui de Fraternité, Joël Egah. Chaque édition donnait lieu à une séance d’attaques en règle et d’accusations contre les dirigeants du pays, de chefs d’entreprises , des acteurs politiques et de la société civile … , sans jamais de contradictions ou de voix pour équilibrer les débats, menés systématiquement de façon inquisitoire.

Celle du début de décembre, à l’image de ses devancières, a malheureusement conduit en prison les deux journalistes après les plaintes des ministres du Commerce et de la Consommation locale Kodzo Adédzé, de la Justice Pius Agbétomey, qui n’ont pas  du tout apprécié d’être moqués dans leur foi chrétienne, et surtout d’être accusés de détournement de fonds publics et d’enrichissement illicite.

 

La faute aux réseaux sociaux

Le Togo est l’un des pionniers de la dépénalisation des délits sur le continent. Ainsi, lorsqu’un journaliste, un technicien ou auxiliaire des médias, détenteur de la carte de presse y commet une infraction dans l’exercice de sa profession sur un support médiatique , c’est un droit spécial, c’est-à-dire le Code de la presse qui lui est appliquée et non le droit commun, notamment le Code pénal. Aussi,  lorsque les activités d’un journaliste causent des dommages à autrui, il ne peut être poursuivi que sur le fondement des dispositions du Code de la Presse.

 

De fait, l’arrestation des deux journalistes a provoqué  une levée de boucliers des  organisations de la presse et  de défense des droits de l’homme, qui se sont étonnées  de l’application à leur endroit du Code pénal en lieu et place du Code de la presse.

Or, pour  que le Code de la presse s’applique à la place du Code pénal, la qualité de journaliste ne suffit pas. La détention de la carte de presse non plus. Il faut nécessairement que l’infraction incriminée ait été commise par voie de presse, presse en ligne et presse audiovisuelle. 

Ainsi,  l’article 03 du Code de la presse togolaise exclue expressément de son champ d’application,  les activités de production cinématographiques ainsi que les réseaux sociaux.

Lesquels précise l’article précité, sont soumis aux dispositions de droit commun. Conséquence : comme le stipule l’article 156 dudit Code,   « tout journaliste, technicien ou auxiliaire des médias, détenteur de la carte de presse, qui a eu pour recours aux réseaux sociaux comme moyens de communication pour commettre toute infraction prévue dans le présent code, est puni conformément aux dispositions du droit commun » .  Sont aussi concernés les blogs et tous les autres sites dont l’objectif n’est pas de traiter et de diffuser les informations ayant un caractère journalistique. 

Le plus surprenant est que les organisations de la presse togolaise et de la société civile qui s’émeuvent de l’application du code pénal, ont participé à la réflexion et à l’élaboration du Code de la presse en vigueur dans le pays qui exclue de son champ d’application les réseaux sociaux, avant qu’il ne soit présenté comme un avant-projet de loi en Conseil de ministres et adopté plus tard par le Parlement.

 

Pour que la chaîne You Tube qui diffuse l’émission incriminée  « L’Autre Journal »  échappe à l’application du Code pénal, il eût fallu que son promoteur, Ferdinand Ayité,  ait obtenu une autorisation préalable d’installation et d’exploitation auprès de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication ( HAAC) du Togo et l’ait enregistrée comme une Web TV. Démarches qu’il n’a manifestement pas effectuées.