M.Koné Bruno ministre de la construction et du logement.

La tour F : les autorités ivoiriennes ont-elles décidé de revoir leurs ambitions à la baisse ?

Le 28 Février dernier, intervenant sur la première chaîne de la RTI, le ministre de la construction Bruno Nabagné Koné a livré quelques précisions sur la tour F en construction au niveau de la cité administrative. Elle est présentée comme devant devenir la tour la plus élevée d’Afrique subsaharienne. Sa hauteur exacte n ‘a jamais fait l’objet d’une communication officielle. Les spéculations font état d’une tour de 74 étages, voire 76 selon les sources. Le ministre a précisé que les « discussions étaient toujours en cours sur la hauteur finale, qui serait toutefois comprise entre 50 et 70 étages maximum ». Il a dans une certaine mesure confirmé les articles de presse, faisant état que l’Etat comptait revoir la hauteur.

Une démarche contestable dans la forme et dans le fond.

Le Ministre de la Construction, Bruno Nabagné Koné, un garçon travailleur et

intelligent. Pourtant sa vision de revoir à la baisse la hauteur de la tour F reste

discutable.

De prime abord, il est curieux qu’on puisse débuter un chantier de cette envergure sans avoir au préalable arrêté tous les détails. Interrogé dans un déjeuner de presse quelques jours avant son intervention sur la RTI, Le ministre avait déjà expliqué que  » la hausse des coûts intervenus entre-temps, amenait à redéfinir la hauteur de l’immeuble ainsi que certaines de ses commodités, car il faut tenir compte des ressources disponibles et des autres chantiers en cours ». Bien sûr l’argument est à prendre en compte, mais il n’explique en rien pourquoi c’est en pleine phase de construction que la réflexion sur les coûts est mise sur la table.

La logique aurait voulu que les différentes parties s’accordent sur tous les détails avant de commencer à construire l’immeuble, et non pas discuter en construisant. Cela n’a pas de sens.

Le ministre parle de « coûts qui ont évolué entre temps ». Là encore on a du mal à suivre. On part du principe que l’entreprise chargée des travaux a présenté une offre, sur la base d’un devis, après une évaluation des coûts. C’est dire qu’elle a nécessairement trouvé un accord avec ses fournisseurs. Si le marché lui a été octroyé, cela signifie que tout le monde autour de la table s’est accordé sur le coût global de l’infrastructure. On ne doit plus donc entendre parler de « coûts qui ont évolué ».

Encore une fois cela n’a pas de sens.

Le coût de l’infradtrcuture n’ a jamais été officiellement communiqué. Selon diverses sources, il se situe autour de 250 Milliards de FCFA, financé par un partenariat public privé. En clair, une part des fonds vient de l’Etat, et l’autre du secteur privé, certainement de PFO, l’entreprise contractante. Personne ne sait le montant exact du financement relevant de l’Etat, tel que cela a été arrêté au départ. Mais c’est visiblement ce montant que l’Etat ivoirien veut revoir à la baisse. Et cela passe naturellement par une réduction du coût global de l’infrastructure, donc par une tour aux dimensions moins importantes. Voilà le fin mot de l’histoire.

 

Encore une fois, il est difficile de comprendre que l’Etat a donné le « OK » pour les travaux sans avoir au préalable mobilisé tous les financements. Aujourd’hui, il y a un certain nombres de grosses infrastructures en cours de réalisation : le pont yopougon-plateau, le pont cocody-plateau, l’autoroute de contournement, l’autoroute Tiébissou-Bouaké, le CHU d’Abobo, le métro, la ligne BRT, l’extension de l’aéroport, l’autoroute Bassam-Samo, le port sec de Ferké etc….etc…….. Pour toutes ces infrastructures, le financement a été bouclé avant le début des travaux. C’est le préalable. Comment comprendre que ce ne fut pas le cas pour la Tour F ?

Si on avait tenu compte des coûts, la Basilique de Yamoussoukro n’aurait jamais été la plus grande du monde. Elle n’aurait peut-être même jamais vu le jour.

Plus de trente années après sa construction, la Basilique de Yamoussoukro reste la plus grande du monde. Ce n’est pas demain qu’elle va perdre ce statut. de par ses dimensions elle impressionne toujours autant les visiteurs du monde entier. On a vu Angela Merkel écarquiller les yeux lors de sa visite.

L’édifice apporte une valeur ajoutée touristique incontestable à la Côte d’Ivoire. La Basilique a pourtant été construite et inaugurée dans un contexte social difficile. Appelé à la rescousse pour éviter la faillite au pays en 1990, le FMI réclamait la réduction du salaire des fonctionnaires, ce que ces derniers refusaient.

Le pays était en ébullition. Le pouvoir du Président houphouët était contesté par la rue. La basilique apparaissait ainsi comme quelque chose de totalement surréaliste.

 

Certains l’ont qualifié d’un « investissement de prestige pour une nation d’à peine 12 millions d’habitants avec une forte proportion d’animistes ». Le débat s’est déporté au-delà des frontières ivoiriennes. Le bruit avait aussi couru que le président Houphouët et le Vatican à qui il devait faire don de l’édifice, étaient en désaccord sur ses dimensions. Le Vatican désirait clairement une basilique beaucoup plus petite. Pour le Président Houphouët toutefois,  » rien n’était trop grand pour DIEU « . Cependant pour contenter le Vatican, il a réduit sensiblement la hauteur du dôme de l’édifice, qui est légèrement en deçà de celui de Saint-Pierre de Rome. Ainsi à Rome la basilique la plus haute, et à Yamoussoukro la plus grande. Les honneurs étaient ainsi partagés.

L’architecte Pierre Fakhoury : l’homme derrière les projets de grandeur de la Côte d’Ivoire.

Aujourd’hui ces polémiques relèvent du passé. L’infrastructure est en place pour toujours. Elle contribue au rayonnement du pays. Quelle fierté d’entrer sur google la requête « la plus grande basilique du monde », et de voir apparaître la basilique Notre Dame de la Paix de Yamoussoukro ! La Tour F est aujourd’hui un rêve qu’il ne faut pas briser, qui va conférer au pays un rayonnement encore plus important. La taille de la tour commence à être commentée au-delà des frontières ivoiriennes, comme l’étaient il y a trente ans les dimensions de la basilique. Car la Côte d’Ivoire a toujours eu une place à part dans l’inconscient collectif africain.

Signe du destin, c’est le même homme qui est derrière ces deux projets de grandeur, l’architecte ivoirien d’origine libanaise Pierre Fakhoury. Un autre de ces projets audacieux sera bientôt lancé, le pont à haubans sur le canal de vridi. Il aura une hauteur de 60 mètres ( un immeuble de 20 étages ), afin de laisser les bateaux passer en dessous pour accéder au port. Ce sera un défi d’une toute autre ampleur.

La taille de la tour doit être maintenue car c’est celle qui soutient le rêve. Pour réduire les coûts, on peut supprimer le revêtement en verre de la tour, celle-ci est prévue être recouverte de verre à l’instar de l’extension du palais présidentiel récemment achevé. On peut aussi jouer sur les éléments intérieurs ( revêtement du sol, les portes, les cloisons, les sanitaires, le système de climatisation etc…….etc….). Si le pays a la possibilité de bâtir la tour la plus haute d’Afrique aujourd’hui, alors il faut y aller ! En définitive c’est ce genre de pari audacieux qui ont contribué à faire de la Côte d’Ivoire une nation au-dessus de la mêlée.

Douglas Mountain