M. Bonhoulou Diensia Oris-Armel, politologue ivoirien,  est diplômé en sciences politiques à l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) d’ Abidjan. Fondateur d’un cabinet de recherche en sciences politique à Abidjan, il est l’ auteur de deux publications sur l’Afrique dont l’ouvrage « La fin d’une génération en Côte d’Ivoire : Les ténors de l’après-Houphouët, 1990-2020 » parut en novembre 2016 aux éditions le Harmattan . Il a accepté de répondre à nos questions. Entretien.

Pourquoi avoir choisi d’écrire des livres sur la Côte d’Ivoire et sur l’Afrique ? 

Pour trois raisons. Tout d’abord,  je tiens à préciser que mon amour et ma passion pour l’histoire politique de l’Afrique remonte aux années du Lycée et à cette époque, mon bagage culturel et intellectuel impressionnait déjà certains professeurs. Une fois à l’université, surtout en licence science politique, plusieurs de mes enseignants m’avaient encouragé à me spécialiser sur l’Afrique

Ensuite, je me suis véritablement spécialisé sur l’Afrique par vocation et par conviction. Je fais partie de ceux qui pensent que l’histoire de l’Afrique ou l’actualité de la vie politique africaine doit écrite ou commentée par des Africains et non des spécialistes occidentaux.

 

3- Dans votre livre «  La fin d’une génération en côte d’Ivoire », vous proposez la prise du pouvoir en 2020 par le tandem Tidjane Thiam et Thierry Tanoh. Pourquoi ?

Cet ouvrage, je l’ai rédigé en 2016, lors d’un séjour en Afrique de Nord. Je ne connais personnellement pas ces deux personnalités. Mais un bon historien est capable de donner les meilleures orientations pour l’avenir rien qu’en enquêtant dans le passé. La notion de génération politique traduit exactement le personnage Thierry Tanoh, actuel ministre de Pétrole dont la sortie du gouvernement pourrait marquer le début d’un destin national.

Depuis 1946, Houphouët-Boigny a tablé sur la formation des Hommes, pour l’aider à construire un  jeune Etat indépendant.

60 ans après l’indépendance, si je me projette déjà en 2020, trois grandes cohortes peuvent se dégager. Le but d’une génération politique étant d’opérer un changement politique, social ou historique. La première cohorte que j’ai nommée  »les héritiers du pouvoir colonial » obtient l’indépendance politique en 1960. La seconde, qui constitue la première génération de fonctionnaires formés dans les universités françaises, qui a collaboré très tôt avec les pères de l’indépendance, avait réussi à obtenir ce qu’on a appelé, « l’ivoirisation des cadres » en 1978. La troisième cohorte composée de la première génération estudiantine de la Côte d’Ivoire indépendante, (hormis Laurent Gbagbo) n’a pas saisi l’enjeu de sa mission du fait de l’épineuse question de la succession du président Houphouët-Boigny.

Le Président Houphouët-Boigny avait prévu attaquer la question de l’indépendance économique, en privilégiant la formation scientifique et technique (création du lycée scientifique, de l’INPHB, etc.), à la recherche d’un prototype de cadres techniques capables d’influencer le système financier international jugé trop puissant. Je pense que le choix du Premier ministre Alassane Ouattara a juste servi d’exemple en 1990 et rien d’autre. Houphouët-Boigny préparait une génération. C’est dans cette optique que le Président Houphouët offre, en 1992, une bourse d’étude à Thierry Tanoh pour étudier à Harvard. Tanoh fait par la suite, la fierté de son pays, vu la position qu’il a occupé à la SFI, filiale de la Banque mondiale.

Thierry Tanoh et Tidjane Thiam (qui n’est plus à présenter)  sont  des maîtres du système financier international né après l’indépendance. Ils répondent à la vision houphouëtiste de l’indépendance économique et doivent être soutenus par tous les membres de cette génération de l’excellence née après l’indépendance comme Donwahi, Billon, Yasmina Ouegnin, etc.

Thierry Tanoh devra répondre aux attentes des Ivoiriens en attaquant plus, le volet social, pour ne pas effrayer l’opinion nationale, qui sera certainement inquiète de voir un autre ancien haut fonctionnaire de breton Wood venir selon leur langage « empêcher l’argent de circuler ».

« Pourquoi la génération Fesci doit prendre le pouvoir d’Etat » ,un ouvrage , écrit par Abdon Tawa est un véritable contrepied de votre conclusion. Ne croyez vous pas à un destin présidentiel de SORO Guillaume, actuel Président du parlement ivoirien, et ancien SG de la FESCI ?

 J’ai effectivement affirmé dans mon ouvrage que la « génération Fesciste est capable de réaliser l’exploit ». J’ai donné toutefois, des conditions à respecter. Guillaume Soro est phénoménal, si je veux emprunter l’expression de son éminent conseiller. Son atout principal, l’art oratoire est très puissant. Il est de plus, celui qui a démontré ( pas de la bonne manière) à la jeunesse que la haute fonction qu’il occupe aujourd’hui, n’est pas seulement réservée aux héritiers des anciens « enfants gâtés du système ».  Mais à tous les fils du pays, y compris ceux qui ont connu la déchéance à un moment de leur vie. C’est ce qui caractérise la génération Fesciste. Entrés à l’université au moment où l’ajustement structurel faisait rage et accentuait la déchéance des étudiants, qui avaient de plus en plus du mal à avoir des positions sociales confortables. Le système privilégiait l’insertion des enfants des hauts cadres,  diplômés des universités occidentales. Les étudiants fescistes des années 90, quant à eux, connaissent plusieurs fois la prison et étaient au bord de l’échec. Du coup, les fescistes ont voulu tous répondre à ces critères en s’expatriant en Occident, pour corriger leurs carences et se repositionner. Soro Guillaume, tout comme Ahipeaud Martial, Blé Goudé, Eugène Djué, Sidiki Konaté, Doumbia Major, etc, se sont expatriés en Occident. C’est d’abord le souci de se repositionner dans la vie sociale qu’ils se sont expatriés pour obtenir ces « passeports des universités occidentales », indispensables pour intégrer facilement le système national. Retenons surtout qu’ils se sont éparpillés là où ils pouvaient obtenir des positions. En 2002, l’ambitieux Guillaume Soro, 30 ans, sans emploi stable malgré son nouveau statut de « sorbonnard » , a obtenu cette position en acceptant le rôle qu’il a occupé dans la rébellion armée.  A un moment, les fescistes faisaient de la quête de position sociale une véritable préoccupation.

  Aujourd’hui, Ils ont tous  réussi à se repositionner dans la vie sociale. Cependant, j’ai émis des conditions, car la simple position sociale ne sera pas suffisante en 2020. La haute fonction de Guillaume Soro, et les pléthores de doctorats et agrégations des membres de cette génération, ne garantissent pas une prise du pouvoir en 2020.  D’abord,  la configuration actuelle de la vie politique ivoirienne leur impose d’être totalement unis. Ce qui est difficile à réaliser malgré la G 90. Ensuite il leur faudra présenter une meilleure image de la FESCI qui est réputée être une organisation violente aux yeux de l’opinion nationale et internationale. Enfin je me propose de me poser les questions suivantes : quel sera le lien entre la génération fesciste et l’héritage de Laurent Gbagbo ? Les partisans de Laurent Gbagbo accepteront-ils la génération fesciste composée d’anciens rebelles qui ont largement contribué à la chute de Laurent Gbagbo ? Guillaume Soro peut-il atteindre son ambition présidentielle en restant dans un RDR (RHDP) dont une bonne partie lui est hostile ?  Ces questions démontrent  clairement les difficultés de la génération Fesciste.

Pensez vous que vous êtes écouté par les acteurs politiques?

Tantôt oui tantôt non.

Oui parce que je sais que plusieurs personnalités de ce pays ont lu cet ouvrage y compris le Président de la République lui-même.  j’ai été agréablement surpris en lisant  un article de presse, de voir le président du Sénat Ahoussou Jeannot, s’appuyer sur mon ouvrage, pour justifier sa position dans le débat entre Pro et Anti RHDP au PDCI Yamoussoukro, présence de M. Lambert Kouassi Konan et de certains ministres de la République. Je suis heureux de voir la classe politique manifester de l’intérêt pour cet ouvrage . Cependant , j’ai aussi le sentiment de ne pas être écouté.  En effet, dans le souci de la conservation du pouvoir, ou pour justifier leurs actes,  les acteurs politiques ont tendance à être trop sélectifs dans leur lecture. Le président du Sénat n’a parlé que de la page 82 , pour dénoncer et établir le lien entre les anti RHDP et les extrémistes PDCI des années 90. Ce même chapitre inspire le ministre Adjoumani qui pense aussi qu’il y a deux tendances autour du président Henri Konan Bédié. Le chef de l’Etat, le président Alassane Ouattara affirme lors de l’Assemblée constitutive du parti unifié que « le président Houphouët-Boigny a laissé une équipe ». Mon ouvrage est le seul qui traite de la succession du président Houphouët-Boigny de cette manière notamment à sa page 74.

Malheureusement, les  notions, à retenir de cet ouvrage, à savoir le procès de l’extrémisme dans la conservation du pouvoir, la bipolarisation de la vie politique ivoirienne en deux grandes tendances, et l’arrivée au pouvoir du premier président ivoirien né après l’indépendance en 2020, semblent ne pas être appliqués par les acteurs politiques.

Ma déception porte aussi sur le fait que de voir le débat sur un parti unifié houphouetiste se faire avec une telle brutalité, sans associer ou consulter le monde universitaire et intellectuel qui a pris le soin de rechercher, d’écrire sur la vie d’un personnage aussi immense que le président Houphouët-Boigny. En 1986 , lors du quarantenaire du RDA, le président Houphouët-Boigny a publiquement désigné comme disciples , tous ceux qui auront à écrire sur sa vie. Et lorsqu’on veut parler des prophètes, on se réfère aux écritures, sans être sélectifs.

 

Pourquoi le choix d’éditer vos ouvrages en France?

Parce que j’aime la liberté d’expression. Je ne suis pas un romancier, ni un poète, je n’écris que sur la politique. (Rires)

Interview réalisée par OKOUE AKE LAURENT